Ewa Lipska,
(Pologne, 1945)





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Biographie


Son premier livre de poèmes l'établit immédiatement comme l'une des principales voix critiques dans la Pologne d'après-guerre. Elle est lauréate du Prix Koscielski ainsi que du Robert Graves Pen Club Award. Depuis, Ewa Lipska a publié vingt recueils et est traduite dans le monde entier. Dans les années 1990, elle était ambassadrice culturelle de la Pologne, directrice de l'Institut Polonais de Vienne en Autriche et continue aujourd'hui de partager son temps entre Cracovie et Vienne. Ewa Lipska souligne volontiers qu'elle ne s'identifie pas avec les présupposés théoriques et l'activité de ses congénères. Sa poésie, pleine de dramatisme et de cruauté, est un discours sur l'individu exposé, dans les aléas de l'existence, à toutes sortes de compromis, de paradoxes, de menaces. Lipska se meut souvent aux frontières de l'hermétique, ses poèmes exigent un effort et une certaine érudition de la part du lecteur. Ses recueils montrent que dans le panorama actuel de la littérature polonaise est un grand poète de l'existence, poursuivant et modifiant de manière novatrice la vieille révolte sartrienne. Ewa Lipska a publié une vingtaine de recueils de poésie, mais également des nouvelles et des pièces de théâtre.


Poème



DE PLUS EN PLUS LOIN


Je lance des kilomètres devant moi.
Dés à jouer.
Je prolonge l’illusion.

Je pose des miroirs de chimères sur les bas-côtés.
Mirages d’une idée éternelle.

Plus loin. Plus loin. Encore plus loin.
Je verse ma vie
sur le compte de villes nouvelles.

Je dépasse les frontières dadaïstes.
Manèges de nuits multilingues.

De plus en plus loin des stagnations enrouées.
De la vérité immobile de l’expérience.
De l’immobilité du chien.

Sur des pubs qui défilent
je lis en grec des mots polonais
et je ris à voix haute.

De plus en plus loin
est de plus en plus près
de moi.

Trad. Isabelle Macor-Filarska et Irena Gudaniec-Barbier


L’ILE DESERTE

L’île déserte
se sépare de la solitude

Elle apprend des langues étrangères.
Parle peu à peu en humain.
Commence à entendre la foule.

Robinson Crusoë
s’est vendu à la Bourse.

Le perroquet Polly
est au gouvernement.

Sur le disque dur de l’herbe
s’inscrit
une nature morte
qui reste en vie.

Le caniche rose de la pub
gronde.
Queue racée du marketing.

Notre adresse brille dans l’obscurité.
Diamant sur le doigt de l’île.

Trad. Isabelle Macor-Filarska et Irena Gudaniec-Barbier


LE FLAIR DU CHIEN

La poésie s’éteint
dans l’illettrisme d’un songe.

Le chariot de foin de Jérôme Bosch
traverse la galerie terrestre.

Un ange vaincu
attend au bord de l’autoroute.
Le moteur fume.

Le pouvoir -
appuyé contre le foin.
La populace
fleurit au bord de la route.

Le diable distribue
des lecteurs MP3.
Il nous tente avec la musique.

Divins tours diaboliques.

Au-dessus des nuages – le Christ.
Sur le chemin un pèlerin.

Entre eux le flair du chien
et un silence morose.

Trad. Isabelle Macor-Filarska et Irena Gudaniec-Barbier


ET SI DIEU PREFERAIT LES BEIGNETS

Et si Dieu préférait les beignets.
Qu’a-t- il besoin de nos péchés.

Toujours la même comédie dell’arte.
Impudente banalité. Amour impair.
Rêve incestueux.

Et si Dieu préférait les beignets.

Qu’a- t- il besoin d’une trahison de plus
à se damner ?
Une mer de paraffine en flammes.

Et si Dieu préférait les beignets.

Une luge mécréante
se fait désirer
sur la neige sans tache.

Trad. Isabelle Macor-Filarska et Irena Gudaniec-Barbier