Werner Lambersy (Belgique, 1941) |
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Biographie |
Né à Anvers en 1941, Werner Lambersy choisit d'écrire en français bien qu'il soit issu d'un milieu néerlandophone. Il vit et travaille à Paris où il a été responsable de la promotion des lettres belges de langue fançaise (Centre Wallonie-Bruxelles). Grand voyageur, il a notamment sillonné la Grèce, l’Inde, le Japon et la Chine. Werner Lambersy a déjà publié une douzaine de recueils lorsqu’en 1979 paraît Maîtres et maisons de thé qui s’avère, pour la puissance de ses images et la profondeur de sa vision, un des sommets de la poésie française. Depuis, il a publié plus de cinquante titres qui ont confirmé qu’il était l’un des grands poètes contemporains de langue française. Tout en variant, dans le ton et la forme, sa poésie poursuit une méditation ininterrompue sur le dépassement de soi dans l'amour et l'écriture. Et même lorsqu'elle s'adresse aux enfants sa poésie a toujours une portée philosophique. Werner Lambersy est traduit en une quinzaine de langues dont le bengali, le chinois, le japonais et l’hindi et son univers poétique touche un public de plus en plus large et cosmopolite. Parmi les nombreux prix qu’il a remportés dans toute la francophonie, citons le Grand prix de Poésie de la Société des Gens de Lettres en 2004. http://wernerlambersy.hautetfort.com Derniers titres parus: Le mangeur de nèfles /Haïkus libres (2014, éd. Pippa) ; Déluges et autres péripéties (2014, éd. La Porte) ; L’assèchement du Zuiderzee (2013, éd. Rhubarbe) ; Opsimath (2013, éd. Rougier) ; Pina Bausch (2013, éd. du Cygne) A paraître : La dent tombée de Montaigne (éd. B. Dumerchez) ; Les dernières nouvelles d’Ulysse (Ed L’Age d’homme) ; In angulo cum libro (Ed. Al Manar) ; La perte du temps (Ed. Castor Astral) |
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Poème |
Déluges et autres péripéties By homely gifts and hindered words the human heart is told of nothing nothing is the force that renovates the world Emily Dickinson Pour qu’on sache qu’il était vivant, il a fallu qu’il meure Orson Welles, dans La Ricotta de P.P. Pasolini Avant les premiers déluges, la mort n’existait pas. Il y avait le néant. Retiré en lui-même, il laissa la place au manque, qui appela le désir, enfant né de ceux-ci et père de la beauté qui règne sur la matière de l’âme et au-delà, où bientôt il fallut vivre, puis survivre et détruire, pour qu’orpheline la vie puisse ne pas se perdre sans recommencer. Après tant de déluges, il ne fallait pas que l’homme rende la vie au néant, mais l’ensemence de sa disparition et rembourse sa dette à la matière de l’âme, et au-delà à la beauté de l’horizon matériel et mystérieux de sa beauté indifférente. Nous attendons la Destruction. Depuis longtemps, depuis toujours. Nous l’espérons comme une plaie secrète pour guérir de la mort. Nous l’espérons comme on s’enfonce, se donne et s’abandonne dans l’extase, les drogues et l’innocence du désir insatisfait, mais insatiable de la musique et des nombres. Nous attendons la Destruction. Pour que justice soit rendue à la nature qui nous pousse à n’être rien ni personne, pas même dans l’énorme nuit courte des migrations de libellules, l’illusion et les mirages doux de la fureur amoureuse, la passe des papillons inoffensifs puis des grenouilles, des sauterelles, et de la plaie d’insectes dévorant la haie basse et les buissons de l’âme Nous espérons la Destruction. Depuis toujours, depuis notre sortie dans l’espace, hors du ventre de l’obscurité. C’est un sentiment confus et vague, un mal de mer sur les vagues houleuses des cieux. Un malaise, un arrière-goût de solitude amère, une douleur dense et obstinée, légère et mutilante d’avoir perdu quelque chose du jardin sans clôtures du cosmos. Nous l’espérons comme soulage un crime impuni, le suicide que partage l’espèce laissée à elle-même. Nous attendons d’être payés de mort, de dispersion dans la poudre azurée des couchers de soleil, purgés de l’au-delà et détruits au profit d’autres mystères. Nous attendons la Destruction. Depuis longtemps, depuis toujours, depuis Sumer et Abraham où l’ange est arrivé très tard. Depuis les déluges de comètes, les cendres de Santorin sur nos têtes. Depuis Noé et l’épouvante d’avoir, à coups De gaffes et de rames, repoussé de l’arche les hommes qui s’accrochaient au bastingage, et les femmes qui tendaient aux ras des flots furieux leur nouveau-né. Nous attendons la Destruction, comme ces peuples, aujourd’hui, qui pour ne pas mourir et laisser la vie triompher du désespoir, embarquent, lucides et nus, sur des rafiots pourris, paient des passeurs, et meurent sous le suaire sombre des mers, ou gisent sur des sables pollués d’épaves, de débris et du trop-plein de nos civilisations hypocondriaques et obèses. Nous attendons la Destruction, par le prêche universel et cosmétique pour un bonheur pareil aux grands chenils des médias, comme on s’endort après une rude et longue chasse à l’homme, une journée de meurtres, de rapines, de viols et de tortures au nom de tables et de Lois jamais écrites par des dieux invisibles. Nous attendons la Destruction. La fin du dernier acte, comme chez Shakespeare quand tombe le rideau pourpre du sang sous l’ovation debout des spectateurs nourris de meurtres et d’assassinats ; comme tord le cou, une à une, à toutes ses roucoulantes colombes le magicien, inutile amuseur, renvoyé par un public sans poésie ni amour de la beauté ; comme reposent dans les cryptes royales de l’or, les traders qui attendent l’ordre de bourse, la richesse pour une heure, puis passe les crépis de la mort sur l’idole hypocrite. Nous attendons la Destruction. Sa mise en scène, pour servir d’excuse aux dieux coléreux dont nous avons pris prétexte, en sortant des tranchées de la première guerre mondiale, pour tuer, être tués, et rejeter, un peu plus tard des cheminées nazies, ce qui restait de l’être humain et de l’âme nauséabonde des bourreaux, dont le banal office nous souille, depuis la nuit des temps, c’est vrai ! Mais qui jusqu’aux lendemains improbables et aux massacres sacrificiels du pouvoir continue de nous enfumer, nous et nos enfants et les générations de nos enfants ! « On croit mourir pour la patrie, alors qu’on meurt pour des industriels » A. France. Après les génocides, les famines, les désastres économiques organisés, le sida, Guantanamo, l’assassinat par les drones, les gaz de carbone et l’atome sous nos pas pour des millions d’années, les déserts et la forêt sans arbres comme l’âme sans joie : nous attendons la Destruction. « Il reste peu de temps : Le point de non retour est dépassé. L’histoire de l’homme prend fin, mais pas celle de la vie » Claude Lévi-Strauss Sans nous l’avouer, sans y croire peut-être, mais le besoin obscur est là, qui nous conduit comme hypnotisés : nous attendons la Destruction. Que faisons-nous pour l’éviter vraiment, quelle rage contre les profits inhumains peut encore nous arrêter ? Que répondre à qui nous demande pourquoi nous avons fait du monde ce qu’il est, qu’avons-nous laissé faire, qu’avons-nous fait et que peut encore celui qui veut bien faire, quand cela même aujourd’hui se retourne contre lui ? Combien de millions de bébés renvoyés, chaque minute, au néant ? Combien de continents pillés, décimés, génocidés, pour que dure la puissance de quelques uns, au prix du dévoiement et de l’abrutissement programmés de tant d’autres, et que reste-t-il de nous, sans mémoire et sans aveux, face aux questions de nos enfants ? Pourquoi Hérode, plus que jamais, fait-il égorger des innocents, décapite-t-il les porteurs de paroles nouvelles pour que danse Salomé ? Pourquoi tant d’enturbannés, de tonsurés, d’ensoutanés de toutes sortes, de politiques, de technocrates, de Kapos de toute espèce, prétendent-ils servir en nous asservissant ? Nous attendons la Destruction, parce qu’Elle libère, croyons-nous, permet de commencer un autre Eden, et nous rendrait l’innocence, car jamais époque ne fut, à travers tant d’infamies, plus belle, plus prometteuse, plus enthousiaste et curieuse du ciel, de la matière, de la vie et de l Homme ; jamais le génie ne fut plus près de tous les possibles, plus ouvert au poème, à la musique, aux mathématiques, aux « fureurs héroïques », à la grandeur microscopique et universelle de l’être humain. Werner Lambersy, 2013 |
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